Voir aussi la photo et le phénomène, I, et la photo et le phénomène, II.
Dans un cadre qui découpe la scène et la fait durer dans le flux du temps, les personnes, les animaux et les choses évoluent comme autant de formes en mouvement. Tandis que le temps emporte le référent réel en le poussant hors du présent vers le passé, la scène photographiée perdure, étant en ek-stase temporelle par rapport à son environnement, quel qu'il soit. Non pas qu'elle n'en soit pas affectée, le sens de cette ek-stase n'étant suffisamment déterminé ni par la photo ni par l'environnement primaire. C'est ce manque de saturation qui en appelle à la lecture qui, elle, n'en saurait venir à bout.
En regardant la photo, je me lance hors de mon moment actuel vers le moment de la prise de vue, similaire au moment passé de la prise du fait de cette ek-stase même. En effet, lors de la prise, le photographe (le regardant 1) s'était lancé hors de son flux ambiant vers la scène qu'il découpait "en ek-stase“, et, comme lui, le regardant 2, celui qui regarde la photo prise, se relance hors de son flux actuel vers la scène découpée.
Que le regardant 1 et le regardant 2 soient la même personne, ou qu’ils soient des personnes différentes, il y a là un potentiel d’auto-réflexion et de hétéro-réflexion formidable, réflexion non pas psychologique, mais existentielle. Car l’ek-stase est en fait la vérité originaire et générale du regard en tant qu'il m'a toujours déjà arraché à moi vers le regardé qui n’est pas moi et qui me rejette. En fait, la réflexion, si elle est authentique, s'inscrit dans la "continuité" de l'ek-stase (essentiellement discontinue!), elle est ek-stase elle-même, ayant lieu dans ce "lieu" entre moi et l'autre, au "lieu" même de l'ek-stase qu'est le "Dazwischen", condition de la possibilité même de tout lieu.
A l’origine, il y a cette confrontation du soi et de l'autre. Par rapport à celle-ci la scène mienne, devenue propriété, „Heimat“, est secondaire, appelée à occulter la confrontation première, cette déchirure. En effet, de manière générale, je viens originairement au monde comme étant séparé de moi-même auprès d’êtres qui ne sont pas moi - venue permanente, ständiger Fortriss. La constitution de l’espace intra mondain, civilisé, personnalisé, social, toute cette appropriation de l’espace-temps par l’habitude, est parfaitement secondaire. Et elle reste secondaire, quoi qu’elle réussisse, la plupart du temps, à étouffer l’ek-stase primaire.
Avouons que nous sommes ici assez proches de la différence de l’amour de soi et de l’amour propre chère à Jean-Jacques Rousseau. L’amour de soi - prépersonnel - est, dans notre approche, l’amour de l’ek-stase par quoi le soi vient au monde, l’amour propre, c’est, ici comme ailleurs (je parle de l'Emile de Rousseau), l’amour de la personne évoluant dans l’espace intra mondain constitué.
La photo, en tant qu’elle m’incite à redécouvrir et à revivre originairement (ursprünglich vollziehen) l’ek-stase ensevelie, elle relève de l’amour de soi.
Cette photo, je la qualifie d’“existentielle“.
J’en parlerai dans un prochain billet. Ici, je me contente de renvoyer à un exemple. La suite est par là.
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